VAJRAYANA

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Le terme sanskrit Vajray na («véhicule de diamant») désigne la troisième et dernière phase du bouddhisme, les deux précédentes étant le H 稜nay na et le Mah y na. Le Vajray na peut être appelé aussi bouddhisme tantrique: on y trouve, en effet, mêlés, les présupposés majeurs du Mah y na et ceux du tantrisme, ces derniers présentant toutefois des variantes notables (cf. TAN- TRISME). L’époque historique du Vajray na commence autour des VIIe et IXe siècles et sa répartition géographique intéresse surtout le subcontinent indien (en particulier, le Bengale, la Frontière Nord-Ouest, le Cachemire, le Népal) et le Tibet, qui constitue pour lui une véritable terre d’élection.

Mah size=5y size=5na et tantrisme

Pour se faire une idée de l’organisation doctrinale du Vajray na, il faut se reporter aux ultimes développements du Mah y na, dont les deux écoles centrales sont celle du M dhyamika et celle du Yog c ra. La première insiste principalement sur la non-substantialité ( ご nyat ) non seulement d’un principe individuel permanent ( tman ), comme faisait déjà le H 稜nay na, mais aussi de tous les concepts possibles. La seconde se préoccupe plutôt de tracer, par-delà la ご nyat , les contours de la conscience-pensée comprise comme réalité ultime et unique (cittam trat ). Ces deux écoles, à un certain moment, en viennent à s’harmoniser l’une avec l’autre, et c’est de cette synthèse pratique que procède l’Abhisamay la face="EU Updot" 臘k ra (ou «versus memoriales sur la réalisation de l’absolu»), fondée sur la très vaste littérature de la Prajñ p ramit ou «Perfection de la gnose». C’est surtout cette forme unifiée de bouddhisme qui, jointe aux pratiques tantriques, forma le Vajray na et atteignit le Tibet, après s’être établie dans le nord-ouest de l’Inde au VIIIe siècle de l’ère chrétienne. Dans ces régions, caractérisées par un très actif brassage de cultures religieuses, se développa un bouddhisme non conventionnel, qui se constitua sous les influences yogique, tantrique et alchimiste des siddha (les «parfaits») et prit la dénomination de « voie rapide», par opposition à la voie lente et graduée du bouddhisme commun.

La poussée qui entraîna la fusion des principales orientations du Mah y na s’éclaire par la définition que Di face="EU Updot" 臘n ga donne du concept de prajñ , ou connaissance supérieure: la prajñ , dans son sens global, est soit la connaissance unitaire, soit la voie qui y conduit. En d’autres termes et pour revenir aux deux écoles mentionnées, si, d’un côté, en vertu de la rigoureuse dialectique du M dhyamika, qui vise essentiellement à réduire à l’absurde les traditionnelles structures cognitives, il est nécessaire de laisser la place libre, si l’on peut dire, à une authenticité du connaître et de l’être, de l’autre côté s’impose, d’une façon aussi inéluctable, la nécessité d’une pratique capable d’assurer efficacement une telle transformation, c’est-à-dire l’accomplissement de la bouddhéité qui est présente en puissance dans chaque homme: ainsi s’explique le rapprochement avec le Yog c ra, qui se caractérise, comme le nom l’indique, par une attitude plus pratique. C’est précisément en fonction d’une telle exigence, de cette recherche de moyens (up ya ) que se comprend le fait que se soit greffé, sur la fusion déjà réalisée à partir des deux écoles en question, le troisième élément, particulier au bouddhisme tardif, qu’est le tantrisme. En fait, celui-ci ne comporte pas substantiellement, par rapport aux disciplines bouddhistes (et non bouddhistes) précédentes, de mutation quant aux fins. Ce qui change, c’est plutôt le nombre et le type des moyens. On pourrait résumer les caractéristiques majeures de l’immense méthodologie tantrique en disant qu’il s’agit là d’une synthèse des divers moyens – en matière de rite, de méditation et de yoga – qui opère à deux niveaux distincts: l’un magique et utilitaire; l’autre initiatique, qui répond à un souci de transformation et à une visée sotériologique. Cette synthèse, pour différentes raisons, en vint à exercer une attirance particulière sur la culture du Tibet. À ce propos, notons un contraste entre l’Inde et celui-ci: le développement du bouddhisme en Inde part du Mah y na pour aboutir au tantrisme, tandis que le Tibet, où ce dernier l’emporte d’abord, fait une place de plus en plus grande au Mah y na, même si cette évolution, loin d’être dirigée contre le tantrisme, s’effectue à travers une intégration de celui-ci. En d’autres termes, tandis qu’en Inde s’éveille, à un certain moment et sous le poids de la spéculation doctrinale, un besoin d’expérience pratique, le Tibet, en un temps où la pratique était devenue une fin en soi, se montrera, en revanche, avide de doctrine, d’une doctrine fournissant une vision du monde ou une élucidation des pratiques.

Magie et sotériologie

Il est fort intéressant aussi d’observer ce qui se passa à l’époque de la seconde diffusion du bouddhisme au Tibet. L’artisan de celle-ci fut le maître indien At 稜 ごa (982-1054). D’un côté, il s’employa à corriger les bases doctrinales et pratiques du mouvement en admettant des initiations qui devaient donner naissance à des chaînes de maîtres et de disciplines s’appuyant sur des fondements traditionnellement sûrs (l’initiation, dba face="EU Updot" 臘 , pouvant par elle-même, moyennant des cérémonies et des rites secrets, mettre en mesure de comprendre les textes et d’exécuter les rites conformes); d’un autre côté, il s’efforça de moraliser les pratiques, en réservant celles qui sont fondées sur l’usage et sur la sublimation des sens à ceux-là seuls qui, par l’exercice de la vertu, par l’étude et par la méditation de la doctrine du Mah y na, étaient parvenus au seuil de la réalité ultime. Sans doute la confusion et le désordre devaient-ils être grands pour que Mi-la Ras-pa (Milarepa) comprît seulement à un certain moment que «la voie des inclinations sensuelles, qui est celle des tantra , ne pouvait être tenue pour une voie normale, pratiquée par tout le monde». Quoi qu’il en soit, la classe des anuttara-yoga-tantra , les «tantra du yoga suprême», voués à ces pratiques non conventionnelles, occupe toujours la place la plus élevée, précédée par les catégories des kriy tantra , des cary tantra et des yogatantra , adonnés aux exercices rituels de la magie et de l’ascèse, dont l’anuttarayoga sera le couronnement dernier. Mais il fallait que le sujet fût jugé apte par le maître, lequel a une très grande importance dans le Vajray na (et, en général, dans le tantrisme): pour le yogin non conventionnel du Vajray na l’unique support indispensable n’est pas la structure monastique, mais le maître, du moins tant que le disciple n’a pas lui-même acquis la qualité d’un maître.

Des deux niveaux du Vajray na, le niveau magique et utilitaire et le niveau sotériologique, le premier est moins caractéristique; il repose en fait sur un répertoire de magie servant à toutes sortes de causes, telles que la victoire sur les ennemis, l’acquisition du bien-être. Le second, en revanche, est spécifique du Vajray na: la fin est ici la bouddhéité ou «essence de diamant» (vajrasattva ) et les moyens la méditation, le yoga, le rituel. Mais la bouddhéité du Mah y na ou du tantrisme n’est pas le nirv na du H 稜nay na, lequel s’oppose au monde conditionné du devenir (sa ュs ra ). En réalité, l’équivalence (samat ) du sa ュs ra et du nirv ユa est la conquête la plus haute et se situe par-delà l’illusion (moha ) qui fait croire à un contraste entre l’un et l’autre. «Tous les êtres sont Bouddha, mais ce fait est obscurci par les impuretés accidentelles ( gantukam la )», affirme le Hevajratantra , qui, avec le Guhyasam jatantra , est un des textes du Vajray na les plus connus et les plus importants. La bouddhéité est donc soit une dimension «psychologique», soit une dimension «ontologique»: à l’individu pur les choses apparaîtront dans leur pureté, libérées de ce qui est moi et mien, dégagées de leurs connotations conceptuelles et de leurs affinités particulières, c’est-à-dire de l’héritage karmique qui infecte l’esprit; elles apparaîtront ainsi sous leur aspect véritable: «La condition pure (vi ごuddhi ) des choses [...] c’est la vérité en elle-même» (ibid. ). La purification serait le moyen, la pureté, la fin. Mais à ce sujet se posent quelques questions fondamentales: quel rapport y a-t-il, d’abord, entre le rituel et le fond doctrinal, puis entre le rituel et la méditation (ou le yoga)? enfin, quelles sont la fonction et la légitimité de ce qu’on appelle les «voies sensorielles»? Avant tout, s’agissant du Vajray na, il faut précisément se garder d’opérer, comme cela se fait parfois, une distinction rigoureuse entre le rite et la méditation. Hormis l’évidente richesse des éléments rituels du yoga classique – qui vont des positions corporelles à la préparation de l’ambiance et à l’accord avec les rythmes astrologiques –, il est clair que, dans une conception qui unit le microcosme et le macrocosme, le yoga (ou la méditation) est rite et le rite yoga. L’état suprême (vajrasattva ) est «unité des trois» (cf., par exemple, le Hevajratantra ), c’est-à-dire du corps, de la parole et de l’esprit. Le corps qui se livre à la respiration yogique ou à des gestes cérémoniels, la bouche qui prononce des formules et l’esprit qui se concentre sur la divinité appropriée, tous les trois ensemble se fixent précisément pour but d’accomplir cette unité à un premier niveau, afin qu’il puisse être donné à celle-ci de résonner, pour ainsi dire, à un niveau transindividuel. Qu’un mantra récité mécaniquement ait une valeur et que, prononcé dans le contexte qu’on vient d’évoquer, il en ait une autre, plus complète, cela tient justement à ce que se produit, dans ce dernier cas, une vibration où sont unis le psychique et le physique. Prenons un autre exemple, celui d’une fréquente pratique rituelle et méditative: la «visualisation» d’une divinité, suivie de l’identification à cette dernière – «Jour et nuit, que le yogin demeure en union avec cet «un» essentiel, de la même manière que coule un fleuve ou qu’immobile brûle une lampe» (Hevajratantra ); ce pourraît être un contresens, semble-t-il, que de s’engager dans des identifications tandis qu’on aspire à une totale «désidentification». Mais, paradoxalement, c’est le fait d’entrer en union essentielle avec une divinité – c’est-à-dire avec une image-force qui, d’une certaine façon, infuse dans le sujet l’énergie correspondante – qui est précisément tenu pour capable de conduire au-delà des images et de la pluralité: si «je suis Hevajra», j’ai en moi la force-connaissance (et la répétition du rite vise à assurer et à accroître cette force) qui permet de trancher les liens du sa ュs ra et de dépasser le monde des formes.

Les moyens et la fin

Toutes ces considérations peuvent aider à comprendre et l’interdépendance des différents moyens et leur fonction par rapport à la fin. Au sujet des pratiques associées à la sphère des émotions, on peut remarquer, tout d’abord, qu’elles ne représentent pas une innovation radicale qu’aurait opérée le tantrisme. En témoigne, par exemple, le commentaire par Vy sa des Yogas tra , III, 23, où il est dit: «L’indifférence n’est pas un sentiment, parce que d’elle ne peut procéder la sam dhi (extase).» Le tantrisme et le Vajray na ne font qu’approfondir l’étude et l’application de cette idée, en prenant en considération une gamme étendue d’émotions, depuis le mouvement de foi intense à l’égard du maître jusqu’aux passions extrêmes de la colère et du désir sexuel. L’ardeur d’une passion a ceci de particulier qu’à l’instar de la concentration elle porte l’individu à sortir, en un certain sens, de lui-même, c’est-à-dire à se détacher, plus ou moins longtemps, de son monde contumier. Il s’agit donc d’une première expérience, bien que rudimentaire et précaire, de rupture de la convention dualiste. Mais il sera nécessaire, naturellement, que l’émotion ne reste pas ce qu’elle est d’ordinaire, à savoir un événement fortuit et inconscient. Elle devra être cultivée de manière savante. La «voie des émotions» a pour particularité de se fonder nécessairement, si l’on veut qu’elle ait des résultats positifs, sur une purification déjà avancée: «Les sens peuvent être cultivés lorsqu’ils sont rendus inoffensifs par la purification» (Hevajratantra ). Cette épuration signifie surcroît de conscience et de lucidité, de telle sorte que l’émotion, dont on a dit qu’elle tend à créer une séparation par rapport aux états psychiques ordinaires, ne risque pas d’entraîner les sens ainsi transformés: ces derniers, au contraire, en s’additionnant tous ensemble dans l’unité d’une conscience lucide, seront en mesure de fixer et de manier la séparation qui s’est instaurée, de manière à lui donner le plus de stabilité possible et ainsi de s’approcher toujours plus de l’état de pureté absolue. L’émotion n’est donc pas suffisante: l’essentiel est plutôt de créer une bipolarité avec l’élément antagoniste représenté par la conscience, de telle sorte que celle-ci pénètre l’émotion, en la guidant, et qu’elle soit pénétrée par l’émotion, s’en trouvant ainsi animée. Il est vain – les textes le déclarent à l’unisson – de recourir au moyen (up ya ) si celui-ci n’est pas soutenu par la connaissance (prajñ ) et vice versa; mais l’up ya du Vajray na n’est pas un équivalent fixe de la «grande compassion», comme dans le Mah y na: il embrasse un vaste éventail de moyens possibles, parmi lesquels la passion (r ga ).

Il semble donc que certains principes fondamentaux du Mah y na et du tantrisme en viennent à être renforcés par la conception qui a trait à la «voie des sens»; celle-ci, lorsqu’elle est empruntée de manière heureuse, démontre – expérimentalement, pourrait-on dire – qu’il y a équivalence entre l’expérience mystique et l’expérience sensorielle, c’est-à-dire entre le nirv ユa et le sa ュs ra . Pour la même raison, les cinq Bouddha du ma ユdala sont à assimiler non seulement à autant de types de connaissance, mais aussi aux éléments, aux sens et aux passions: on retrouve ici la double polarité comme voie directe conduisant à la réalisation de la réalité unique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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